top of page

Ars Moriendi est un one man band français, originaire de Clermont Ferrand. Sa tête pensante, Arsonist, officie depuis 2001 dans un Black Metal Atmosphérique et Progressif. Je m’entretiens aujourd’hui avec lui.

 

1/ Salut à toi Arsonist ! Merci de prendre le temps de m’accorder cette interview. Alors, ton projet s’appelle Ars Moriendi, soit « l’Art de bien mourir » en latin, c’est le nom de deux textes. Peux-tu nous en dire plus sur ce nom ? Et pourquoi l’avoir choisi ?

 

Les « Ars Moriendi » sont effectivement des petits ouvrages publiés à la fin du Moyen Age et sensés expliquer aux fidèles l’art de mourir en bon chrétien. Lorsque j’ai débuté Ars Moriendi fin 2001 il s’agissait d’un projet uniquement instrumental, très ambient et à l’atmosphère exclusivement médiévale. Je trouvais donc que le nom d’Ars Moriendi correspondait parfaitement à cet univers. Ces ouvrages symbolisent aussi très bien l’emprise que peut avoir une religion sur une société puisqu’ils sont en quelque sorte des instruments de « propagande ». Cette emprise immémoriale des croyances sur l’être humain est d’ailleurs un thème que j’ai souvent développé dans les textes d’Ars Moriendi.  Je précise, car on m’a déjà posé la question, que le titre de Marduk intitulé Ars Moriendi (présent dans l’album « La Grande Danse Macabre ») est postérieur à la création de mon projet.

 

2/ Quel est ton processus créatif ? Comment écris-tu ta musique ?

 

Les choses ont un peu évolué avec le temps. Lors des débuts du projet je composais et enregistrais énormément, d’abord parce que j’avais du temps, ensuite parce que je peaufinais sans doute moins les morceaux. Je prends désormais mon temps. En général je ne prévois rien à l’avance, je reprends ma guitare lorsque j’en ai envie (parfois après plusieurs mois d’inactivité), je teste des choses, j’enregistre nombre de riffs et lorsque je trouve qu’une idée est bonne, je la développe sans me fixer de limites, ce qui explique peut-être la longueur de certains titres. Une fois que j’ai la trame de plusieurs morceaux je commence à réfléchir au concept qu’ils m’inspirent puis je travaille de nouveau sur les versions instrumentales. Tout cela prend du temps évidemment parce que je suis seul. Ce n’est qu’en dernier que je rédige les textes et pose les voix.

 

 

3/ Quelles sont tes influences ? Quels groupes/artistes écoutes-tu ? Et comment penses-tu que ça interagit avec ta musique ?

 

Mes influences sont extrêmement larges, j’écoute quasi tous les types de Metal depuis près de 20 ans mais également un peu de Jazz et d’electro, et je pense que cela s’entends dans ce que je produis musicalement. C’est toujours difficile pour moi de citer les groupes qui m’ont influencé car ils sont très nombreux. S’il faut 

citer les plus emblématiques je dirais Iron Maiden (le plus grand), King Diamond, Slayer, Dream Theater, Emperor, Burzum , Arcturus, Opeth et hors Metal principalement Ulver et Elend, deux entités à qui je voue un véritable culte. Certains musiciens aiment dire en interview qu’ils n’ont rien écouté pendant l’année d’enregistrement de leur album afin de ne pas être influencé par quoi que ce soit. Ce n’est pas mon cas, j’écoute de la musique tout le temps, et donc je suis donc sous influence permanente. Le plus difficile c’est de digérer musicalement ces influences pour créer quelque chose de suffisamment personnel et c’est ce que j’essaye de faire avec Ars Moriendi. Ce qui est drôle, c’est que très souvent, les groupes cités dans les chroniques de mes albums, ceux à qui les chroniqueurs pensent en écoutant Ars Moriendi, sont des groupes que je ne connais pas ou très peu. C’est par ce biais j’ai découvert Shining il y a une dizaine d’année, mais aussi Nocte Obducta ou Thy Catafalque.

 

 

4/ Ton dernier album « Sepelitur Alleluia » vient de sortir, comment vis-tu cette sortie ? Comment se situe-t-elle par rapport à tes dernières réalisations ? Penses-tu qu’elle est meilleure que les précédentes ou non ?  Qu’as-tu cherché à exprimer à travers elle ? Pourquoi avoir choisi ce nom ?

 

C’est assez difficile pour moi de juger mes propres travaux et encore plus un album qui vient juste de sortir et sur lequel je n’ai pas trop de recul. Je suis tout de même très fier de ce nouvel album que je trouve plutôt homogène et bien équilibré. Le style Ars 

Moriendi, développé sur les trois précédents albums, est toujours là, mais avec des petites nouveautés et notamment la participation de plusieurs invités, ce qui est nouveau pour moi. Ma femme a ainsi contribué en chantant sur l’introduction de Sepelitur Alleluia tandis qu’on peut entendre mon père et mon oncle respectivement à la trompette et au saxophone sur Ecce Homo. Si l’album est globalement plus agressif que les précédents, l’aspect progressif est encore plus mis en avant (avec notamment un morceau de plus de 18 minutes) mais il y a également un petit côté old-school dans certains riffs. Bref, j’aime à penser qu’il s’agit de mon meilleur album à ce jour mais je ne suis pas le mieux placé pour en juger...on verra quelle sera sa réception.

Pour ce qui est du nom il s’agit d’un lien avec mes travaux de recherche. Lorsque je travaillais sur ma thèse en histoire moderne, je suis tombé sur des documents relatifs à un phénomène qui se produisait dans les églises chrétiennes jusqu’au début du XVIIe siècle. La veille de la septuagésime, soit les 70 jours précédant Pâques, et qui représentent une période morose de privation et d’abstinence chez les chrétiens, se déroulait une cérémonie plutôt originale. Pour marquer le début de cette période, on enterrait symboliquement l’Alleluia, chant de joie et de bonheur dans le rituel chrétien. Ainsi, l’on pouvait voir les enfants de chœur porter un petit cercueil à travers la nef et le mener jusqu’au chœur de l’église afin de procéder à un simulacre d’inhumation. Dans d’autres églises à la même époque, la tradition était un peu différente puisque ces mêmes enfants étaient munis de petits fouets et procédaient au « fouetter de l’Alleluia ». Le mot était tout simplement écrit ou gravé sur des toupies après lesquels les enfants 

s’acharnaient avec leur fouet pour les faire sortir de l’église. Sepelitur Alleluia est en fait la traduction latine du « fouetter de l’Alleluia », et c’est l’expression que l’on rencontre dans les sources. Je trouvais que ce concept collerait parfaitement avec Ars Moriendi. Il a également été superbement illustré par Luciana Nedelea.

 

 

5/ Et plus globalement, que cherches-tu à exprimer dans ta musique ?

 

L’objectif c’est d’abord de me faire plaisir en jouant. Composer et enregistrer seul les instruments un à un est un processus absolument passionnant. Ensuite, comme tout musicien je pense, j’essaye de produire quelque chose que j’aimerais entendre, soit une musique sombre et violente tout en étant atmosphérique, mélodique et personnelle. Après il n’y a aucune prise de tête et je ne me mets aucune pression concernant la musique, c’est le cas depuis 15 ans.

 

 

6/ Tu fais tout tout seul, pourquoi ce choix ? Penses-tu que c’est mieux dans ton processus créatif ? Ne souhaiterais-tu pas jouer en groupe parfois ?

 

Ars Moriendi a toujours été un projet solo et le restera. Cela permet d’abord de ne faire aucun compromis et évite bien des ennuis induits par la vie de groupe. J’enregistre quand je le souhaite et je prends le temps qu’il me faut. J’ai eu la possibilité d’intégrer des 

groupes il y a quelques années mais ça ne m’a jamais vraiment intéressé. On lit souvent que l’essence même du Metal, c’est le live. C’est en partie vrai mais c’est moins le cas d’un genre comme le Black Metal. C’est à mon avis un genre qui prend toute sa dimension avec un casque sur les oreilles et les yeux fermés, pas tellement en concert même si certains groupes arrivent partiellement à restituer leur univers sur scène. Est-ce-que j’ai envie de voir un groupe comme Summoning  sur scène ? Pas spécialement, par contre j’attends avec impatience l’arrivée de l’hiver pour me plonger dans leur univers. 

 

 

7/ As-tu des side projects en dehors d’Ars Moriendi ? Souhaiterais-tu expérimenter de nouvelles choses ? Si oui, quoi ?

 

En dehors d’Ars Moriendi, je fais partie du projet Notre Amertume que je partage avec le bulgare Ivo Illiev (Darkflight). Je m’occupe des textes et de la voix dans ce projet pour lequel nous avons enregistré deux split-cd, le premier avec Ars Moriendi (Agonie d’un Ancien Monde) et le second avec 3 autres groupes (The beginning of the end). Rien d’autre à signaler pour le moment. Si je souhaite, et c’est probable, expérimenter de nouvelles choses à l’avenir, se sera sans doute avec Ars Moriendi mais je n’ai encore rien de plus précis pour le moment.

 

8/ Tu écris tous tes textes en français, est-ce important pour toi ? Et qu’évoquent-ils globalement, quels sont les thèmes abordés ? Y auraient-ils certains textes que tu voudrais nous détailler ?

 

Le français étant ma langue maternelle, il est tout à fait logique pour moi de l’utiliser pour écrire mes textes. J’aime les mots, et la force que certains peuvent avoir. Cette force des mots et de certaines formules, je ne peux la mesurer que dans ma langue maternelle. Je vais donner un exemple simple, j’ai toujours adoré Elend, groupe franco-autrichien dont les textes ont quasiment toujours été écrits en anglais. Sur leur dernier album, probablement le plus violent et tourmenté de leur carrière, une sorte de fin en apothéose, le leader a décidé de n’utiliser que le français. Et ses paroles ont un impact incroyable tout au long de l’album et nous immergent totalement dans cette atmosphère apocalyptique. Un anglophone dira peut-être le contraire, mais pour moi, la qualité de cet album est en partie due aux textes français.

Depuis les débuts d’Ars Moriendi, les textes tournent autour des thèmes suivants : la religion et son emprise sur les êtres humains au cours de l’histoire, de manière plus large je m’interroge sur l’Homme, ses forces, ses faiblesses, sa relative insignifiance aussi par rapport à l’univers qui l’entoure, sa capacité d’autodestruction....On retrouve cela dans le morceau Ecce Homo (voici l’Homme), par exemple. Le dernier morceau de l’album, Le fléau français, est dédié à la vie de François l’Olonnois, un pirate français du XVIIe siècle, et probablement le plus sanguinaire et taré que le monde ait connu. L’histoire de sa vie est assez incroyable et je trouvais qu’elle collerait parfaitement à Ars Moriendi ! Pour 

le reste j’invite ceux qui auront l’album entre les mains à lire les paroles et à en faire leur propre interprétation.

 

 

9/ Tu fais une musique assez complexe, qui n’est pas à la portée du premier venu, et qui demande plusieurs écoutes avant de vraiment l’appréhender, à qui s’adresse-t-elle selon toi ?

 

Elle s’adresse d’abord à un public averti, puisqu’il s’agit tout de même de Metal extrême, ensuite à un public ouvert à ce que le Black Metal puisse être marié à différentes influences y compris hors Metal. Comme tu le précises, Ars Moriendi n’est pas un projet facile d’accès et demande des écoutes et de la patience pour être apprécié. Je pense cependant que de manière général le public Metal extrême aime justement les choses qui ne sont pas simples d’accès, les disques exigeants.

 

 

10/ Malgré les années et les sorties très fréquentes, ton projet reste assez confidentiel, est-ce de ta volonté ? Par quoi cela s’explique-t-il selon toi ? Et quelle est ta vision par rapport à ça ?

 

C’est vrai qu’Ars Moriendi reste encore assez confidentiel mais sa « popularité » est tout de même exponentielle, chaque album élargissant peu à peu son audience. Le fait de travailler avec un label ukrainien est peut-être une explication. Il fait un travail de promotion remarquable à son niveau, mais ne bénéficie pas des gros réseaux de distribution comme Season of Mist, PIAS etc. Il y a 

aussi ce que j’évoquais précédemment, à savoir que la musique d’Ars Moriendi n’est pas forcément très facile d’accès, y compris pour un public averti. Le fait de ne pas faire de concert, enfin, est également un élément à prendre en compte. Après, je ne cours pas après le succès. Bien sûr, je souhaite partager ce que je fais avec le plus grand nombre de personne possible mais ce n’est absolument pas un objectif en soi, sinon j’œuvrerais dans un autre registre...

 

 

11/ Quels sont tes projets pour le futur ?

 

Pour le moment pas grand-chose. J’attends que la version cd de l’album soit disponible afin de contenter les personnes qui m’ont réservées un exemplaire. Dans quelques mois je reprendrai sans doute mes instruments et nous verrons si des choses intéressantes en sortent. Il n’est pas impossible que Sepelitur Alleluia soit l’ultime album d’Ars Moriendi, l’avenir le dira.

 

 

12/ Merci de m’avoir accordé cette interview ! Aurais-tu un petit mot pour la fin ? Quelque chose à ajouter ?

 

Merci à toi pour cette interview et pour ton soutien. Si je n’avais qu’une chose à dire à ceux qui seront allé au bout de cette interview, laissez une chance à Ars Moriendi de vous montrer sa vision des ténèbres, vous ne serez pas déçus.

 

 

bottom of page